Les chrétiens unitaristes
Le dictionnaire Larousse
définit l’unitarisme comme la « doctrine de certains groupes dissidents de la
Réforme (Michel Servet, Fausto et Lelio Socin) qui niaient le dogme de la
trinité parce qu’ils y voyaient un abandon du monothéisme ». Les unitariens reprochent
donc aux trinitaires, c’est-à-dire, les catholiques, les protestants et les
orthodoxes, de ne pas être strictement monothéistes. L’unitarisme trouve son
origine dans des mouvements antérieurs au concile de Chalcédoine, dont le plus
connu est l’arianisme, au IVe siècle, dont nous avons déjà
parlé. Après la disparition de l’arianisme, l’unitarisme renaît en Europe
centrale au milieu du XVIe siècle. Puis la première église
unitarienne anglaise est créée en 1774 et la doctrine apparaît
aux Etats-Unis en 1784 avec James Freeman. On ne compte pas moins
de cinq présidents des Etats-Unis unitariens, dont Thomas Jefferson, l’un des
auteurs de la Constitution américaine. Les anciens unitariens croient en
l’unicité absolue de Dieu et considèrent Jésus comme le Messie et comme un
prophète. La ressemblance entre cette doctrine et le dogme musulman est telle
que l’on est en droit de se demander si l’unitarisme n’a pas été influencé par
l’islam.
Le médecin et théologien espagnol Michel Servet est l’un des unitariens les plus
connus, peut-être en raison de sa fin tragique puisqu’il fut brûlé vif pour
hérésie à Genève où il avait fui l’Inquisition catholique[1].
Croyant avoir trouvé refuge chez les protestants, réputés plus tolérants, il
est finalement livré au bûcher en 1553, avec l’aval de Jean Calvin lui-même
auquel il s’était opposé dans ses écrits, notamment dans son Christianismi
restitutio (La Restitution du Christianisme), qui se veut une
réplique à l’Institution de la religion chrétienne, de Calvin.
Mais que reprochait-on exactement à Servet ?
Ces paroles notamment : « Dieu seul sait
combien cette tradition de la Trinité a été pour les Mahométans une occasion de
raillerie. Les Juifs répugnent eux aussi à adhérer à cette fantaisie des nôtres
et se moquent de notre folie trinitaire. Et à cause des blasphèmes qu’elle
comporte, ils ne croient pas que « ce » Jésus était le Messie qui fut promis
dans la loi. Et non seulement les Mahométans et les Hébreux, mais les bêtes des
champs elles-mêmes se moqueraient de nous si elles percevaient notre théorie
fantastique, car toutes les œuvres du Seigneur bénissent le Dieu unique.
Ecoutez aussi ce que dit Mahomet, car il faut accorder plus de crédit à une
vérité confessée par un ennemi qu’à cent mensonges des nôtres. »[2]
Humaniste, esprit ouvert,
Servet arriva très vite à la conclusion que la trinité était une innovation des
conciles du IVe siècle, une doctrine que ni Jésus, ni ses apôtres
n’avaient jamais prêchée. Son premier ouvrage, publié à l’âge de vingt ans,
s’intitulait Des erreurs de la trinité. Dans son Christianismi restitutio,
Servet place Mahomet au-dessus des catholiques et des protestants, car plus
proche de l’enseignement de Jésus qui, comme lui, a prêché l’unicité de Dieu[3]. Dans une
conférence donnée le 27 octobre 2007, l’universitaire espagnol Jaume de Marcos
Andreu affirme : « Son intention n’était pas de réformer le
christianisme, mais de le restituer à son état original avant sa déformation
par de vaines élucubrations. Il ne voulait pas développer une nouvelle doctrine
chrétienne plus attrayante pour les croyants d’autres religions, mais tenir en
éveil la vérité. Et cette vérité réveillée, par elle-même, était assez forte
pour abattre toutes les barrières qui empêchent la concorde entre les gens. Si
le judaïsme et l’islam avaient préservé la vérité sur Dieu et le Christ dans
leurs doctrines respectives, il était nécessaire que le christianisme corrige
son erreur, commencée à Nicée et maintenue pendant plus de mille ans. »
[1] Non contente d’avoir
inventé des dogmes que la raison ne peut admettre, l’Église a tenté de les
imposer par la force et par le bûcher puisque des milliers d’esprits éclairés,
parmi lesquels des savants à l’image de Servet, sont morts brûlés vifs pour
avoir osé remettre en cause des croyances que tout être sensé ne peut que
rejeter.
[2] De errores acerca de
la Trinidad, in Obras Completas, Vol. II-I. Primeros escritos teológicos, Prensas
Universitarias de Zaragoza, 2004, p. 227.
[3] Restitution du
christianisme, Michel Servet, traduit par Rolande-Michelle Bénin, Paris, 2011, tome 1,
p. 192.