C’est pourquoi, vous aussi,
tenez-vous prêts, car le Fils de l’homme viendra à l’heure où vous n’y penserez
pas. (Matthieu 24,
44)
Quiconque lit ces paroles de Jésus sans les
commentaires chrétiens qui les accompagnent généralement en déduira sans le
moindre doute que celui-ci annonce la venue d’un autre que lui, appelé « Fils de l’homme » et d’une importance
capitale, comme le prouvent les mots : « tenez-vous prêts ». Les
commentateurs chrétiens nous expliquent pourtant, contre toute évidence, que
Jésus, en Matthieu 24, 44, parle de lui-même, annonçant son propre
retour : la parousie. Or, comme ici, la formule « Fils de
l’homme », qui apparaît près de quatre-vingts
fois dans la bouche de Jésus, est toujours employée à la troisième personne, comme s’il s’agissait
d’un autre que lui. Ainsi, Luc fait dire à Jésus : « Je vous le dis, quiconque me confessera devant les
hommes, le Fils de l’homme le confessera aussi devant les anges de
Dieu, mais celui qui me reniera devant les hommes sera renié devant les
anges de Dieu. » (Luc 12, 8-9) Voici
le même passage rapporté par Marc : « Car
quiconque aura honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération
adultère et pécheresse, le Fils de l’homme aura aussi honte de lui. »
(Marc 8, 38) Ce passage est si problématique pour Matthieu qu’il croit nécessaire
d’éliminer l’expression « Fils de l’homme » au profit du pronom
« je », bien plus naturel à cet endroit après le pronom « me », si
évidemment Jésus parle de lui-même : « C’est
pourquoi, quiconque me confessera devant les hommes, je le
confesserai aussi devant mon Père qui est dans les cieux. Mais quiconque me
reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père qui est
dans les cieux. » (Matthieu 10, 32-33)
Or, l’interprétation dominante depuis Rudolf Bultmann
est que, puisque Jésus parle du Fils de l’homme à la troisième personne,
c’est qu’il désigne un autre que lui. Jésus se serait lui-même considéré comme le précurseur d’un autre personnage salvateur. Ce
n’est qu’après Pâques, où Jésus serait apparu à certains de ses disciples qui
le croyaient mort sur la croix, que les premiers chrétiens l’auraient identifié
à cette figure salvatrice du Fils de l’homme. D’ailleurs, les disciples
de Jésus ne lui attribuent jamais dans les Evangiles le titre de « Fils de
l’homme », contrairement à celui de « Fils de Dieu » employée
treize fois par eux dans le Nouveau Testament pour désigner le Messie. De même,
ce titre n’est jamais appliqué à Jésus par Paul qui n’aurait pas manqué
d’attribuer ce titre glorieux à celui qu’il a élevé au rang de Dieu. Ce titre
est également absent des formules du credo chrétien. Tout ceci fait dire à
certains commentateurs tel Lietzmann, dans Der
Menschensohn (1896), que « l’expression
araméenne de l’Evangile, barends (fils de l’homme), n’a pu ni constituer un
titre messianique, ni apparaître dans la littérature chrétienne avec ce sens
qu’entre les années 60 et 90 », c’est-à-dire, tardivement.