Le sceptre ne s’éloignera point
de Juda, ni le bâton souverain d’entre ses pieds, jusqu’à ce que vienne Chiloh,
et que les peuples lui obéissent. (Genèse 49, 10)
C’est sur son lit de mort que Jacob fait cette
prédiction devant ses douze fils auxquels il annonce ce que sera l’avenir de
leurs tribus respectives. Les traducteurs de l’Ancien Testament, devant les
difficultés posées par ce mot, qui n’apparaît qu’une seule fois dans la Bible,
restituent généralement le terme Chiloh tel quel, sans le traduire. La Bible
syriaque, dite Peshitta, le rend toutefois ainsi : « Celui auquel ils
sont destinés », c’est-à-dire, le sceptre et le bâton souverain, soit,
selon les commentateurs chrétiens, les pouvoirs à la fois temporel et
spirituel. Autrement dit, comme les rois-prophètes d’Israël, à l’image de David
et de Salomon, issus justement de Juda, ce Chiloh sera à la fois un souverain
et un prophète. Mais, contrairement à ces derniers, il assoira sa domination
sur tous les peuples, pas seulement sur la nation juive, comme l’indique
l’expression « et que les peuples lui obéissent ».
Selon les chrétiens, ce Chiloh est Jésus mais,
reconnaît André-Marie Gérard dans son Dictionnaire de la Bible (p.
210) : « Aucun autre texte ne désigne le Messie sous le nom de
Chiloh ». Il poursuit : « On a donc songé à une erreur de
lecture, que les traducteurs corrigent de manières très diverses : “…jusqu’à ce
que vienne celui à qui il [le sceptre] appartient”, ou “jusqu’à ce que le
tribut lui soit apporté”, ou encore avec saint Jérôme : “jusqu’à ce que vienne
celui qui doit être envoyé”. » Autant de descriptions qui conviennent à
Mouhammad bien plus qu’à Jésus, même si rien n’établit avec certitude que ce
Chiloh est bien le prophète de l’islam. C’est en effet Mouhammad qui a fondé un
empire, qui a imposé un tribut aux non musulmans, tandis que Jésus payait le tribut aux Romains (Matthieu
17, 24-27), et qui est désigné dans le Coran à maintes reprises
comme « l’envoyé de Dieu », titre qui n’est jamais appliqué à Jésus
par les quatre évangélistes. En outre, Jésus n’a prétendu ni au pouvoir
temporel, ni au pouvoir spirituel, expliquant que son royaume n’était pas de ce
monde (Jean 18, 36).
D’ailleurs, pour quelle raison, si ce Chiloh
est bien le Messie, cette prophétie n’est-elle pas appliquée à Jésus dans le
Nouveau Testament comme le sont celles d’Isaïe ou de David par exemple, alors
qu’elle émane du patriarche Jacob, d’un rang plus élevé que le prophète Esaïe
ou même que le roi David ? Probablement parce que les premiers chrétiens ne
faisaient aucun lien entre le Messie et ce Chiloh.
Selon le fameux
dictionnaire Strong de la Bible, le terme « Chiloh » aurait pour
origine l’hébreu « Chalah » qui renferme les notions de
« tranquillité » et de « paix ». De même, Jean-Daniel
Macchi, conclut une longue étude
philologique de l’hébreu « Chiloh » par cette affirmation :
« L’interprétation de
שִׁילֹה (Chiloh) dans le sens d’un
concept, “la tranquillité” ou “la paix”, nous paraît donc constituer la
proposition la plus vraisemblable. L’expression de 10b signifierait alors
“jusqu’à ce que vienne la paix” et ferait référence à une ère de tranquillité
future ou contemporaine. » (Israël et ses tribus
selon Genèse 49, Jean-Daniel Macchi, Fribourg, 1999, p. 109)
Chiloh ne désignerait donc pas un homme, mais une ère nouvelle. Il est
difficile de ne pas faire un rapprochement entre cette interprétation, partagée
par de nombreux spécialistes contemporains, et la religion de l’islam, mot
formé sur la racine sémitique s, l, m, qui signifie « la paix » (il a
donné notamment le « Shalom » hébreu), paix de l’âme obtenue par la
soumission (aslama) à la volonté de Dieu.