A la suite de la parabole des vignerons où est décrite la
manière dont les fils d’Israël ont persécuté et tué les prophètes, Jésus
annonce clairement à ses contemporains juifs que le royaume de Dieu leur sera
enlevé et donné à une autre nation : « C’est
pourquoi, je vous le dis, le royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné à
une nation qui en rendra les fruits. » (Matt. 21, 43) L’expression
« royaume de Dieu » désigne, dans la bouche de Jésus, la religion de
Dieu, puisque les juifs n’ont jamais été maîtres d’un royaume terrestre. Ils
ont presque toujours été, et précisément à l’époque où Jésus prononce ces mots,
sous la domination d’autres puissances. Ce « royaume de Dieu » peut
également désigner un empire terrestre promis aux juifs mais qui, en raison de
leur attitude, leur sera finalement enlevé pour être attribué à un autre
peuple.
Mais quelle est donc cette « nation » qui héritera du
royaume de Dieu et qui en rendra les fruits ? Selon les chrétiens, cette nation
est celle des Gentils, c’est-à-dire, tous les peuples non juifs.
Pourtant, le terme grec employé ne laisse aucune place au doute, le
singulier « ethnos » et non le pluriel « ethnè » :
le royaume de Dieu sera donné à une seule nation, non à toutes les nations de
la terre. Précision importante : le grec « ethnos »
renferme l’idée de race. Il a notamment donné le français « ethnie ».
Il s’agit donc ici d’une seule race et non de toutes les races de la terre.
Cette prophétie de Jésus est à rapprocher de ces
paroles que Moïse rapporte de son Seigneur au sujet des Hébreux : « Ils ont excité ma jalousie par ce qui n’est point
Dieu. Ils m’ont irrité par leurs vaines idoles. Et moi, j’exciterai leur
jalousie par ce qui n’est point un peuple. Je les irriterai par une nation
insensée. » (Deut. 32, 21) Remarquons, là encore, que
le terme « nation » est ici au singulier. Selon les commentateurs
musulmans, cette « nation insensée », c’est-à-dire, ignorante, ne peut
être que la nation arabe à laquelle la mission de prophète va être confiée, ce
qui provoquera la jalousie du peuple juif. En effet, les Arabes, avant
l’islam, ne formaient pas un peuple uni mais une multitude de tribus toujours
en conflit et qui se caractérisaient par une telle ignorance que l’époque
préislamique est précisément désignée dans le Coran comme « l’époque de
l’ignorance » (Jahiliyyah).
La prophétie de Jésus est
également à rapprocher de ces paroles du Seigneur rapportées en Esaïe 65,
1 : « J’ai exaucé ceux qui ne
demandaient rien. Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas.
J’ai dit : Me voici, me voici à une nation qui ne s’appelait pas de mon
nom. » La nation qui s’appelle du nom de Dieu est sans aucun
doute Israël, nom formé sur le suffixe « El » qui
signifie « Dieu » en hébreu, remplacée par la nation arabe qui
ne porte pas en elle le nom de l’Eternel. Jésus est venu annoncer plutôt
qu’établir ce « royaume de Dieu » qui sera instauré par un autre que
lui. Il répète en effet à plusieurs reprises durant sa vie publique que le
Royaume n’est pas encore arrivé, mais qu’il est à venir : « Il disait : Le temps est accompli, et le royaume de
Dieu est proche. Repentez-vous, et croyez à la bonne nouvelle. » (Marc 1,
15) L’avènement prochain du royaume de Dieu est donc la « bonne
nouvelle » que Jésus est venu annoncer. Rappelons que le terme évangile,
tiré du grec « euaggelion », signifie précisément « bonne
nouvelle ». La principale mission de Jésus est donc d’annoncer le Royaume
de Dieu à son peuple, les juifs, afin qu’il s’y prépare. « Et l’on ne se
trompera pas en voyant dans « le royaume de Dieu » le concept fondamental de la
prédication de Jésus »,
peut-on lire dans le Dictionnaire de la Bible Vigouroux (Tome 5, première partie,
p. 1242). L’expression « royaume de Dieu », sous ses différentes
formes, se retrouve donc près de cent fois dans la bouche de Jésus qui utilise
pas moins de onze paraboles pour le décrire à ses fidèles. Il affirme lui-même :
« Il faut aussi que j’annonce aux autres
villes la bonne nouvelle du royaume de Dieu, car c’est pour cela que j’ai été
envoyé. » (Luc 4, 43)
Le royaume de Dieu est donc à venir, il n’est pas
contemporain de Jésus qui demande à ses fidèles de l’attendre et de s’y
préparer. Contrairement à ce que pensent certains chrétiens,
trompés par la formule « royaume des cieux », utilisée parfois comme ici pour
désigner le royaume de Dieu, ce dernier est bel et bien terrestre. Bart Ehrman, professeur à
la faculté de théologie de l’université de Caroline du Nord,
spécialiste reconnu du Nouveau Testament, est catégorique sur ce point : « Ce
royaume de Dieu n’est pas le « ciel » – l’endroit où vous vous rendez quand
vous mourez (comme dans la tradition chrétienne ultérieure). C’est un vrai
royaume terrestre. »[1]
Pour les musulmans, cette
nation qui héritera du royaume de Dieu et qui en rendra les fruits ne peut être
que celle qui descend d’Abraham à travers Ismaël. Car si les fils d’Israël,
descendants d’Isaac, ont rompu l’alliance conclue avec leur ancêtre Abraham et
renouvelée avec Moïse, les fils d’Ismaël sont plus en droit que quiconque
d’hériter de la mission prophétique, compte tenu de la promesse faite à Abraham
en Genèse 17, 20 de faire de son premier-né Ismaël et de sa descendance une
grande nation : « A l’égard
d’Ismaël, je t’ai exaucé. Voici, je le bénirai, je le rendrai fécond, et je le
multiplierai à l’infini. Il engendrera douze princes, et je ferai de lui une
grande nation. »[2]
Tiré du livre : Le Prophète de la promesse, Mouhammad dans la Bible.
[1] Jesus, Interrupted, Revealing the Hidden Contradictions in the Bible, Bart Ehrman, Harper Collins,
2009, p. 157.
[2] Abraham, craignant
qu’Ismaël, son premier-né, ne soit pas concerné par la promesse divine qui
lui fut faite à travers son fils Isaac, avait imploré : « Qu’Ismaël
vive devant ta face ! » (Genèse 17, 18)