La prophétie de Jésus relative au « royaume de Dieu », décrite dans un article précédent, est à mettre en parallèle avec la vision du prophète Daniel (voir livre de Daniel, chapitre 7) dans laquelle celui-ci voit quatre immenses bêtes qui, selon l’interprétation chrétienne la plus communément admise, symbolisent les quatre empires qui, à partir de l’époque de Daniel, ont dominé l’ancien monde et persécuté le peuple élu : l’empire babylonien, l’empire médo-perse, l’empire grec et enfin l’empire romain qui, en 63 avant J.C., assoit son autorité sur la terre sainte mais qui, selon le songe de Daniel, sera détruit, la domination revenant finalement au peuple de Dieu.
Or, les commentateurs musulmans y voient l’annonce de l’instauration du royaume de Dieu, l’empire musulman fondé sur la religion de Dieu, au détriment de l’empire romain d’Orient dont la chute est symbolisée par la prise de Jérusalem par les musulmans en 638. Nul doute que la vision de Daniel correspond très précisément aux données historiques avec une succession de quatre empires païens qui domineront l’ancien monde, en particulier la terre sainte, et persécuteront le peuple juif puis les premiers chrétiens, avant l’avènement de l’empire musulman qui proclamera l’adoration d’un Dieu unique et réhabilitera les vrais croyants.
C’est d’ailleurs ce même Constantin que certains musulmans associent à la « petite corne » qui, dans le songe de Daniel, sort de la quatrième bête (l’empire romain) à la suite de dix cornes symbolisant dix rois : « Et il avait dix cornes. Je considérai les cornes, et voici, une autre petite corne sortit du milieu d’elles, et trois des premières cornes furent arrachées devant cette corne. » (Daniel 7, 8) L’ange interprète cette vision ainsi : « Les dix cornes, ce sont dix rois qui s’élèveront de ce royaume. Un autre s’élèvera après eux, il sera différent des premiers, et il abaissera trois rois. » (Daniel 7, 24) Les paroles « il abaissera trois rois » s’appliquent parfaitement à Constantin qui s’est emparé du pouvoir au détriment de trois rivaux : Maxence, Maximin Daïa et Licinius. Quant aux « dix cornes » symbolisant dix rois, elles pourraient désigner les dix empereurs romains qui, avant Constantin, ont persécuté les premiers chrétiens. En effet, l’histoire de l’Eglise mentionne dix vagues de persécutions dans l’Empire romain :
la première, sous le règne Néron (54-68), à laquelle la tradition rattache les martyres de Pierre et de Paul de Tarse, la seconde sous Domitien (81–96), la troisième sous Trajan (98–117), la quatrième sous Marc Aurèle (161–180), la cinquième sous Septime Sévère (193–211), la sixième sous Maximin (235–238), la septième sous Dèce (249–251), la huitième sous Valérien (253–260), la neuvième sous Aurélien (270–275) et enfin la dixième sous l’empereur Dioclétien (284–305), la dernière et la plus grave des persécutions.
Revenons à la « petite corne » de la vision de Daniel qui semble jouer un rôle central. Elle représente un empereur qui vaincra les vrais croyants et tentera de modifier la Loi et les temps (les fêtes religieuses) avant l’instauration définitive du royaume de Dieu. Or, l’on sait comment Constantin a persécuté les chrétiens qui rejetaient le dogme de la Trinité, les ariens en particulier, et comment il a modifié les enseignements de Jésus à travers notamment le concile de Nicée (325). En outre, il fait du jour du soleil païen (dies solis), le dimanche, un jour de repos légal, modifiant ainsi l’institution du sabbat. Et il impose la célébration de la Pâques chrétienne à une date différente de la Pâques juive. De même, c’est sous son règne que la fête de Noël, qui célèbre la naissance du Christ, est instituée et sa date fixée au 25 décembre. Précisons qu’une partie des protestants assimile cette « petite corne » à la Rome papale, à l’Eglise catholique, ce qui rejoint l’interprétation musulmane, Constantin étant en quelque sorte le précurseur de cette église.
Le royaume de la vision de Daniel est à la fois profane et religieux, il désigne un empire qui applique la loi de Dieu et succède à des empires terrestres fondés sur le paganisme. Or, de fait, l’empire musulman fut le seul de l’Histoire fondé sur une religion, comme l’affirme le sociologue français Gustave Le Bon (1841-1931) : « L’idéal créé par Mahomet fut exclusivement religieux, et l’empire fondé par les Arabes présente ce phénomène particulier d’avoir été le seul grand empire uniquement établi au nom d’une religion, et faisant dériver de cette religion même toutes ses institutions politiques et sociales. » (La civilisation des Arabes, Gustave Le Bon, éditions La Fontaine au Roy, 1990)