L’Evangile de Jean est le
seul à rapporter le discours prononcé par Jésus lors de son dernier repas avec
les apôtres. Etrangement, ce récit est absent des synoptiques, bien qu’il soit
d’une importance capitale pour l’avenir de l’humanité. Le Christ y indique en
effet quel sera le guide que les hommes devront suivre après
sa disparition. L’Evangile grec nomme ce guide « Parakletos »,
qui donnera le « Paraclet » français. Voici une partie de ce discours :
« Cependant je vous dis la vérité : il vous est
avantageux que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne
viendra pas vers vous. Mais, si je m’en vais, je vous l’enverrai. Et quand il
sera venu, il convaincra le monde en ce qui concerne le péché, la justice, et
le jugement […] Quand le Paraclet sera venu, l’Esprit de vérité, il vous
conduira dans toute la vérité, car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira
tout ce qu’il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir. » (Jean 16, 7-13)
Selon les chrétiens, ce
Paraclet est « l’Esprit Saint » ou « l’Esprit de vérité », comme l’indique
clairement le texte. Mais cette croyance est contredite par les autres termes
de ce même passage de l’Evangile qui précise que le Paraclet : « ne parlera pas de lui-même », « dira
tout ce qu’il aura entendu », « annoncera les choses à venir »
et « convaincra le monde en ce qui concerne le péché ». Or,
« parler », « entendre », « annoncer » ou
« convaincre » sont les attributs d’un être humain, non d’un esprit,
d’un prophète, non de l’Esprit de vérité ou de l’Esprit Saint. D’autant que le
verbe « entendre » du texte français traduit le grec « akouô », qui
signifie percevoir des sons et qui a donné par exemple l’anglais
« acoustics ». Même constat pour le verbe « parler » de la traduction
française correspondant au grec « laleô », qui a le sens général
d’émettre des sons. Ce qui fait dire au docteur Maurice Bucaille dans La
bible, le Coran et la science : « Il apparaît donc que la
communication aux hommes dont il est fait état ici ne consiste nullement en une
inspiration qui serait à l’actif de l’Esprit Saint, mais elle a un caractère
matériel évident en raison de la notion d’émission de son attachée au mot grec
qui la définit. Les deux verbes grecs akouô et laleô définissent donc des
actions concrètes qui ne peuvent concerner qu’un être doué d’un organe de
l’audition et d’un organe de la parole. Les appliquer par conséquent à l’Esprit
Saint n’est pas possible. » (La Bible, le Coran et
la science, éditions Seghers, Paris, 1976, p. 108)
De même, en Jean 14, 30,
Jésus décrit ce Paraclet comme « le prince du
monde », expression qui ne peut convenir qu’à un homme.
Nous
sommes donc ici face à un problème qu’Alexandre Westphal résume parfaitement
dans son Dictionnaire encyclopédique de la Bible, à l’article
« Paraclet » où il écrit : « Est-il personnel ? D’une part
son action est consciente, aimante, nuancée. De l’autre il est envoyé par le
Père, au nom de Jésus (Jean 14.26) ; Jésus l’envoie et il vient de la
part du Père ; voir (Jean 15.26) Esprit ? Vieux problème, jamais
tout à fait résolu. »
A ce
premier problème s’en ajoute un autre. Le Paraclet annoncé « ne viendra qu’après le départ de Jésus ».
Prétendre que le Paraclet est le Saint Esprit, c’est donc affirmer
que l’Esprit Saint était absent lors de la vie publique de Jésus, ce qui
contredit l’Evangile lui-même où l’on peut lire par exemple : « Tout le peuple se
faisant baptiser, Jésus fut aussi baptisé. Et, pendant qu’il priait, le ciel
s’ouvrit, et le Saint Esprit descendit sur lui. » (Luc 3, 21-22)
Il
convient, pour résoudre cette double difficulté, de revenir au sens
initial du grec Parakletos et à son utilisation en dehors de l’Evangile de
Jean. Alexandre Westphal écrit à ce sujet : « Le grec
Parakletos désigne, en dehors du Nouveau Testament, celui qui est appelé comme
patron d’une cause, défenseur, pour plaider, pour intercéder. » On peut
aussi lire dans le Petit Dictionnaire du Nouveau Testament d’A.
Tricot : « Paraclet était un terme couramment employé par les Juifs
hellénistes du 1er siècle au sens d’intercesseur, de
défenseur. » Rejetant les termes « avocat » ou
« défenseur », qui revêtent une connotation juridique absente du
terme Paraclet, David Pastorelli, après une longue étude sémantique du
grec Parakletos, écrit dans la conclusion de son ouvrage intitulé Le
Paraclet dans le corpus johannique : « Le
sens d’intercesseur est fermement établi, aussi bien en 1 Jean 2, 1-2 que chez
Philon et dans la littérature rabbinique, chrétienne primitive ou patristique. »
(Le Paraclet dans le corpus johannique,
David Pastorelli, Berlin, 2006, p. 291)
La traduction la plus
juste de Paraclet est donc « intercesseur », terme qui ne convient
qu’à un homme. Jésus fut lui-même un Paraclet, comme l’indique cet autre
passage de l’Evangile de Jean (14, 16) où il affirme : «
Je prierai le Père, et il vous donnera un autre Paraclet » ou
encore la première épître de Jean où celui-ci utilise le même mot, Paraclet,
pour désigner Jésus en tant qu’intercesseur auprès du Seigneur : « Et si quelqu’un a péché, nous avons un paraclet
auprès du Père, Jésus Christ le juste. » (1 Jean 2, 1) Au sujet de ces paroles de l’épître de
Jean, le dictionnaire Vigouroux écrit : « Le Sauveur (Jésus) remplit
ici l’office de paraclet en intercédant pour nous et en s’interposant de
manière à nous défendre efficacement contre la justice du Père. » (Dictionnaire de la
Bible Vigouroux, vol. 4, part 2, p. 2118-2119)
Maurice Bucaille ne peut
donc que conclure : « On est alors
conduit en toute logique à voir dans le Paraclet de Jean un être humain comme
Jésus, doué de faculté d’audition et de parole, facultés que le texte grec de
Jean implique de façon formelle. Jésus annonce donc que Dieu enverra plus tard
un être humain sur cette terre pour y avoir le rôle défini par Jean qui est,
soit dit en un mot, celui d’un prophète entendant la voix de Dieu et répétant
aux hommes son message. Telle est l’interprétation logique du texte de Jean si
l’on donne aux mots leur sens réel. » (p. 109)
Le Paraclet est donc un
être humain de même nature que Jésus et ayant la même mission, puisque ce
dernier annonce « un autre Paraclet » comme lui, un intercesseur
chargé de plaider la cause des hommes auprès du Seigneur.
Comment donc expliquer la
mention, dans l’Evangile de Jean, de l’Esprit de vérité (16, 13) ou de l’Esprit
Saint (14, 26) immédiatement après celle du Paraclet ? Certains pensent qu’il
s’agit d’un ajout, peut-être un simple commentaire des scribes. Ainsi le
bibliste André Paul écrit : « La
tradition chrétienne a identifié cette figure à celle de l’Esprit Saint.
Cependant, le caractère originaire de cette identification a été suspecté et
l’on a parfois émis l’idée que le Paraclet était d’abord une figure salvatrice
indépendante, confondue seulement ensuite avec l’Esprit Saint. » (Encyclopædia Universalis, « Paraclet »)
De même, George Johnston mentionne dans The
Spirit-Paraclete in the Gospel of John un certain nombre de commentateurs
selon lesquels le Paraclet n’est pas l’Esprit Saint : « A la suite de F. Spitta, H. Delafosse, H. Windisch, H. Sasse et
R. Bultmann, Betz affirme que le Paraclet et l’Esprit Saint représentent deux
réalités différentes. » (The
Spirit-Paraclete in the Gospel of John,
George Johnston, Cambridge, 1970, p. 115)
Selon Maurice
Bucaille, cet ajout pourrait bien être intentionnel : « La présence
des mots Esprit Saint dans le texte que nous possédons aujourd’hui pourrait
fort bien relever d’une addition ultérieure tout à fait volontaire, destinée à
modifier le sens primitif d’un passage qui, en annonçant la venue d’un prophète
après Jésus, était en contradiction avec l’enseignement des Eglises chrétiennes
naissantes, voulant que Jésus fût le dernier des prophètes. »
Précisons que le rôle d’intercesseur du
prophète Mouhammad est l’un des fondements du credo musulman, presque aussi
central que le rôle de rédempteur du Messie dans le
christianisme. Mais, contrairement à la Rédemption, le dogme de l’intercession,
déjà présent dans le judaïsme, trouve sa source dans les textes fondateurs de
l’islam. Le verbe « intercéder » et ses dérivés apparaissent ainsi plus de
vingt fois dans le Coran. Et le Prophète a dit : « J’ai intercédé auprès de mon Seigneur en faveur de ma
nation. » Et il a dit : « Je serai
le premier à intercéder au Paradis. »