Les Byzantins ont été vaincus dans le pays voisin. Mais après leur défaite, ils vaincront, dans quelques (bid’a) années. La décision, avant comme après, appartient à Dieu. Ce jour-là, les croyants se réjouiront du secours de Dieu qui accorde la victoire à qui il veut, lui le Tout-Puissant, le Très Miséricordieux. (Coran 30, 2-5)
Ce verset fut révélé au Prophète Mouhammad à la Mecque, c’est-à-dire, avant 622, date de l’hégire, son émigration vers Médine. S’y trouve mentionnée la défaite des Byzantins face aux Perses, puis annoncée leur revanche dans un laps de temps inférieur à dix ans. Le terme arabe « bid’a » employé dans le verset indique en effet, selon les linguistes arabes, une période comprise entre trois et neuf, ou trois et dix années.
Dans un article intitulé : La conquête musulmane de l’Orient, Philippe Conrad, historien et rédacteur en chef de la Nouvelle Revue d’Histoire, relate comment l’empire romain d’orient, totalement écrasé par les Perses, lance une contre-offensive en infligeant à son ennemi perse une première défaite en 622 : « Chosroès II le Victorieux attaque en 614 la Syrie byzantine, s’empare d’Edesse, d’Antioche, de Damas et de Jérusalem d’où il transporte la Sainte Croix à Ctésiphon, sa capitale des rives du Tigre. Après avoir poussé ses conquêtes jusqu’à l’Egypte en 616, il menace directement l’Asie Mineure où il prend Césarée de Cilicie, avant d’assiéger Chalcédoine, à proximité immédiate de Constantinople. Demeurés maîtres de la mer, les Byzantins peuvent sauver leur capitale et sont en mesure, dès 622, d’entreprendre la reconquête. Héraclius reprend l’Asie Mineure et l’Arménie alors que la mort de Chosroès, survenue en 628 et suivie d’une épidémie de peste et d’inondations catastrophiques, prélude au siège de Ctésiphon par les Byzantins qui imposent la paix et se voient restituer la Vraie Croix. Triomphant quelques années plus tôt, l’Empire sassanide poursuit sa descente aux enfers puisque douze souverains se succèdent entre 628 et 632. »
La première victoire byzantine contre les Perses, en 622 donc, a lieu à Issus en Cilicie (Asie mineure). L’armée byzantine est alors commandée par l’empereur Héraclius en personne, tandis que les troupes perses sont dirigées par Shahrbaraz. Il s’est donc écoulé 8 ou 9 années entre l’offensive perse, avec notamment la prise symbolique de Jérusalem en 614, et la contre-offensive de l’armée byzantine qui remporte sa première victoire à Issus en 622. C’est précisément dans le laps de temps indiqué par le Coran qu’intervient donc la victoire byzantine, impensable plusieurs années avant les événements.
Dans son ouvrage de référence Histoire du déclin et de la chute de l’empire romain, Edward Gibbon décrit, au chapitre intitulé : Détresse d’Héraclius (610-622), l’état de l’Empire byzantin à la veille de sa victoire sur les Perses en 622 : « Les armes de la Perse subjuguèrent la Syrie, l’Egypte et les provinces de l’Asie, tandis que les Avares, que la guerre d’Italie n’avait pas rassasiés de sang et de rapine, dévastaient l’Europe depuis les confins de l’Istrie jusqu’à la longue muraille de la Thrace […] Ces implacables ennemis insultaient et resserraient Héraclius de toutes parts. L’Empire romain se trouvait réduit aux murs de Constantinople, à quelques cantons de la Grèce, de l’Italie et de l’Afrique, et au petit nombre des villes maritimes de la côte d’Asie qu’on trouvait de Tyr à Trébisonde. Après la perte de l’Egypte, la famine et la peste désolèrent la capitale. L’empereur, hors d’état d’opposer de la résistance, et ne se flattant point d’être secouru, avait résolu de transporter et sa personne et son gouvernement à Carthage, où il espérait se trouver plus à l’abri du danger. Ses navires étaient déjà chargés des trésors du palais ; mais il fut arrêté par le patriarche qui, déployant en faveur de son pays l’autorité de la religion, conduisit le prince à l’autel de Sainte-Sophie, et exigea de lui le serment solennel de vivre et de mourir avec le peuple que Dieu avait confié à ses soins. » (The History of the Decline and Fall of the Roman Empire, Edward Gibbon, London, Strahan & Cadell)
Après donc avoir pensé se réfugier en Afrique du Nord, Héraclius sollicita la paix à l’empereur Perse qui « demanda pour tribut annuel, ou pour la rançon de l’Empire romain, mille talens d’or, mille talens d’argent, mille robes de soie, mille chevaux et mille vierges. Héraclius souscrivit à ces ignominieuses conditions : mais l’espace de temps qu’il avait obtenu pour rassembler ces trésors fut habilement employé à se préparer à une attaque hardie, dernière ressource du désespoir », poursuit l’historien anglais qui résume l’état d’esprit des Byzantins à la veille de leur contre-offensive : « Les Romains n’avaient plus d’espoir que dans les vicissitudes de la fortune, qui pouvait menacer l’orgueilleuse prospérité du roi de Perse, et devenir favorable aux Romains, arrivés au dernier degré de l’humiliation. »
Au chapitre intitulé : Première expédition d’Héraclius contre les Perses (622), Gibbon décrit dans le détail la première bataille remportée en 622 par Héraclius : « Les Persans environnèrent bientôt la Cilicie ; mais leur cavalerie balança à s’engager dans les défilés du mont Taurus. Héraclius, à force d’évolutions, vint à bout de les entourer ; et tandis qu’il semblait leur présenter le front de son armée en ordre de bataille, il gagna peu à peu leurs derrières. Un mouvement simulé, qui paraissait menacer l’Arménie, les amena malgré eux à une action générale. Le désordre apparent de ses troupes excita leur confiance ; mais lorsqu’ils s’avancèrent pour combattre, ils trouvèrent tous les désavantages que pouvaient leur donner le terrain et le soleil, une attente trompée et la juste confiance de leurs ennemis ; les Romains répétèrent habilement sur le champ de bataille leurs exercices de guerre, et l’issue de la journée apprit au monde entier qu’on pouvait vaincre les Persans, et qu’un héros était revêtu de la pourpre. Fort de sa victoire et de sa renommée, Héraclius gravit hardiment les hauteurs du mont Taurus, traversa les plaines de la Cappadoce, et établit ses quartiers d’hiver dans une position sûre et dans un canton bien approvisionné sur les bords de l’Halys. »
Gibbon fait allusion dans son ouvrage à la prédiction coranique de la victoire byzantine tout en reconnaissant qu’il était hautement improbable, au moment où le verset fut révélé, que survînt un tel retournement de situation. Il écrit : « Placé sur les limites des deux vastes empires de l’Orient, Mahomet observait avec une joie secrète les progrès de leur destruction mutuelle, et il osa prédire, au milieu des triomphes de la Perse, qu’en peu d’années la victoire repasserait sous les drapeaux des Romains. Le moment où l’on prétend que fut faite cette prédiction était assurément celui où il devait paraître le plus difficile de croire à son accomplissement, puisque les douze premières années du règne d’Héraclius semblèrent indiquer la dissolution prochaine de l’empire. » Et il ajoute en note : « Voyez le trentième chapitre du Karan, intitulé les Grecs. L’honnête et savant Sale, qui a traduit le Koran en anglais, expose très-bien (p. 330, 331) cette conjecture, cette prédiction ou cette gageure de Mahomet ; mais Boulainvilliers (p. 329-344) s’efforce, dans les plus mauvaises intentions, d’établir la vérité de cette prophétie, qui devait, selon lui, embarrasser les écrivains polémiques du christianisme. »
Gibbon fait ici allusion au livre de l’historien français Henri de Boulainvilliers, intitulé La Vie de Mahomed et plus précisément au passage qui suit : « Ainsi je me suis cru obligé d’entrer dans le détail des faits historiques, qui seuls pouvaient faire connaître l’application légitime des paroles de Mahomed. Or l’Histoire nous apprend, ainsi qu’on l’a vu, que les Romains, ayant été continuellement battus par les Perses depuis l’an 615 de J. C. jusqu’à l’an 625, regagnèrent alors leur première supériorité et devinrent les Vainqueurs de leurs redoutables ennemis par un coup tellement inespéré que la mémoire des hommes n’en conserve point de pareil. Il est encore remarquable que l’intervalle de dix années, marqué par Mahomed, entre la Défaite et la Victoire, se trouve justement rempli entre 615 et 625. Partant il faut reconnaitre que si le 30e Chapitre de l’Alcoran a été réellement composé et rendu public en 615, on ne saurait disconvenir de l’accomplissement de la Prophétie qui y est contenue. » (La Vie de Mahomed, Henri de Boulainvilliers, P. Humbert, Amsterdam, 1730, p. 371-372)
Boulainvilliers reconnaît donc que la prédiction du Coran s’est réalisée dans le délai annoncé, moins de dix années, même s’il propose deux dates différentes pour la défaite puis la victoire Byzantine, 615 et 625.
Mouhammad n’avait aucun intérêt à annoncer cette victoire si improbable, car si l’accomplissement de cette prédiction n’aurait pas été d’un grand intérêt pour sa cause, sa non-réalisation, quant à elle, lui aurait enlevé tout crédit et aurait mis un terme à sa mission. A l’inverse, lorsqu’il fut interrogé sur la date de la fin du monde, il reçut de son Seigneur l’ordre de répondre qu’il n’en avait aucune connaissance : « Ils t’interrogent au sujet de l’Heure, voulant connaître le jour de son avènement. Réponds-leur : “Nul autre que mon Seigneur n’en a connaissance”. » (Coran 7, 187) S’il avait été un faux prophète, il n’aurait pris aucun risque à annoncer que la fin du monde se produirait dans des centaines, voire des milliers d’années, comme le feront tant d’imposteurs après lui, pour la plupart chrétiens. Il s’est, au contraire, risqué à prédire la victoire, alors impensable, d’un peuple sans lien avec lui.