L’irrationnalité du christianisme et ses conséquences sur l’apparition de l’athéisme

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Chacun peut remarquer que l’athéisme est né et s’est développé dans les pays occidentaux de culture chrétienne. Le développement de la science peut en partie l’expliquer – la science étant souvent considérée comme l’ennemie de la religion -, mais cette explication n’est pas suffisante. Nous en voulons pour preuve le développement des sciences dans le monde musulman au Moyen Âge qui ne s’est pas accompagné d’un rejet de la religion. C’est même à la civilisation arabo-musulmane que les Européens doivent leur Renaissance.

Les historiens reconnaissent en effet aujourd’hui unanimement le rôle de la civilisation islamique dans la transmission des sciences à l’Europe. L’Espagne musulmane fut alors le principal centre de diffusion de cette civilisation. Déjà au 18ème siècle, Voltaire pouvait dire, avec sa franchise habituelle : « Dans nos siècles de barbarie et d’ignorance, qui suivirent la décadence et le déchirement de l’Empire romain, nous reçûmes presque tout des Arabes : astronomie, chimie, médecine. »1 Gibbon, à la même époque, va encore plus loin puisqu’il attribue uniquement à la civilisation arabo-musulmane la transmission à l’Occident des savoirs antiques2.

Plus proche de nous, Gustave Le Bon écrit dans La civilisation des Arabes : « Grâce aux croisades, l’influence civilisatrice de l’Orient sur l’Occident fut très grande, mais cette influence fut beaucoup plus artistique, industrielle et commerciale que scientifique et littéraire. Quand on considère le développement considérable des relations commerciales et l’importance des progrès artistiques et industriels, engendrés par le contact des croisés avec les Orientaux, on peut affirmer que ce sont ces derniers qui ont fait sortir l’Occident de la barbarie, et préparé ce mouvement des esprits que l’influence scientifique et littéraire des Arabes, propagée par les universités de l’Europe, allait bientôt développer et d’où la renaissance devait sortir un jour. »3

Jules Barthélemy Saint-Hilaire (1805-1895), homme d’Etat français, confirme l’influence de la civilisation arabo-musulmane sur la Renaissance européenne : « Quelques siècles plus tard, c’était aux sciences et aux écoles de l’islamisme que l’Europe chrétienne allait devoir la moitié de ses lumières. Au XIe et au XIIe siècle, l’Espagne, livrée aux Maures, instruisait le reste du monde après s’être instruite elle-même aux monuments de la Grèce. Si la scholastique n’avait point eu les sources arabes, il est sûr qu’elle n’eût pas fait de si rapides progrès ; et la Renaissance d’Albert le Grand et de saint Thomas aurait pu se faire attendre encore bien longtemps ! »4

Plus près de nous, Evariste Lévi-Provençal (1894-1956), historien et orientaliste français, insiste sur ce que l’Europe doit à cette civilisation : « La dette de l’Europe envers l’Espagne musulmane est d’une importance presque sans égale. Ce foyer de 1 Préface de l’Essai sur l’Histoire universelle (1754), dans OEuvres complètes de Voltaire, Voltaire, éditions Moland, 1875, tome 24, p. 49. 2 La civilisation byzantine, Bernard Flusin, PUF 2006. 3 La civilisation des Arabes, Gustave Le Bon, éditions La Fontaine au Roy, 1990. 4 La vie de Mahomet, Saint-Hilaire, éditions Durand, 1864.

haute culture qu’était Al Andalus fut un trésor inestimable pour l’Europe médiévale. Il lui rendit accessible des outils culturels et scientifiques comme le système positionnel des chiffres (les chiffres arabes), les fonctions mathématiques trigonométriques, une science médicale déjà bien avancée […] Puis, vint la Renaissance et les grandes découvertes maritimes, véritable amorce des Temps modernes, engendrant des Lumières et tout ce qui suivit : tout cela n’aurait pas été possible sans les apports de l’Espagne musulmane. »5

Il faut donc chercher une autre explication à la naissance et au développement de l’athéisme dans les sociétés de culture chrétienne. La principale raison est selon nous à rechercher dans l’irrationnalité du credo chrétien qui décrit un Dieu à la fois impuissant et injuste. Un Dieu incapable de pardonner aux hommes sans sacrifier son Fils ! Un Dieu unique mais en trois personnes ! Un Dieu, Créateur des cieux et de la terre, mais qui a une mère, Marie ! Un Dieu infini mais qui s’est incarné en un homme faible et fini ! Le dogme de l’Incarnation en particulier a conduit nombre de chrétiens à renier la foi. La notion de mystère a très longtemps permis à l’Eglise de cacher ses invraisemblances et ses contradictions jusqu’au jour où les hommes, mieux instruits, plus libres d’esprit, ont commencé à s’interroger sur l’irrationalité de ces mystères qui explique en grande partie le rejet du christianisme et la progression de l’athéisme dans des pays traditionnellement chrétiens, en occident notamment.

La rationalité et la facilité du dogme musulman ont à l’inverse joué un rôle fondamental dans l’expansion de l’islam, comme le confirme Gustave Le Bon : « L’islamisme peut revendiquer l’honneur d’avoir été la première religion qui ait introduit le monothéisme pur dans le monde. C’est de ce monothéisme pur que dérive la simplicité très grande de l’islamisme et c’est dans cette simplicité qu’il faut chercher le secret de sa force. Facile à comprendre, il n’offre à ses adeptes aucun de ces mystères et de ces contradictions si communs dans d’autres cultes, et qui heurtent trop souvent le bon sens. Un Dieu absolument unique à adorer ; tous les hommes égaux devant lui ; un petit nombre de préceptes à observer, le paradis comme récompense, si on observe ces préceptes, l’enfer comme châtiment, si on ne les observe pas. Rien ne saurait être plus clair ni moins prêter à l’équivoque. Le premier mahométan venu, à quelque classe qu’il appartienne, sait exactement ce qu’il doit croire et peut sans difficulté exposer les dogmes de sa religion en quelques mots. Pour qu’un chrétien puisse se risquer à parler de la Trinité, de la transsubstantiation ou de tout autre mystère analogue, il faut qu’il soit doublé d’un théologien versé dans toutes les subtilités de la dialectique. Cette extrême clarté de l’islamisme, jointe au sentiment de charité et de justice dont il est empreint, a certainement beaucoup contribué à sa diffusion dans le monde. De telles qualités expliquent comment des populations qui étaient chrétiennes depuis longtemps, comme les Egyptiens à l’époque de la domination des empereurs de Constantinople, ont adopté les dogmes du prophète aussitôt qu’elles les ont connus, alors qu’on ne citerait aucun peuple mahométan qui, vainqueur ou vaincu, soit jamais devenu chrétien. »6 5 L’Espagne musulmane au Xe siècle, Lévi-Provençal, éditions Maisonneuve et Larose, 2002. 6 La civilisation des Arabes, Gustave Le Bon, éditions La Fontaine au Roy, 1990.